Artisans du bâtiment : comment garder une longueur d’avance grâce aux start-up
Les artisans du bâtiment ne voient pas toujours d'un bon oeil l'arrivée de nouveaux acteurs comme les start-up. Mise en danger de leur savoir-faire, complexité à saisir ce qu'elles font : les causes d'inquiétude ne manquent pas. Ces jeunes entreprises peuvent pourtant leur simplifier le quotidien.

Les start-up et l’artisanat peuvent-ils vraiment faire bon ménage ? Certains sont prompts à les opposer. Une certaine tradition d’un côté, une certaine modernité de l’autre ; la défense d’un savoir-faire d’un côté, une (supposée) menace pour l’emploi de l’autre. La réalité n’est, naturellement, pas aussi simple.

Pour Antoine Thuillier, manager consultant au sein d’Impulse Partners, accélérateur de start-up notamment spécialisé dans le secteur de la construction, il est vain d’opposer ainsi les deux mondes. « Les gens pensent que les start-up sont là pour développer l’innovation pour les grandes entreprises ou concevoir des solutions pour pousser les artisans ou les entreprises en dehors du marché, observe-t-il. Si les start-up – et l’innovation au sens large ¬ bouleversent les métiers, ce changement est vrai pour les entreprises de toute taille ».

Et le manager de poursuivre : « Les « gros » ont leur lourdeur, leur complexité. Les TPE-PME, intrinsèquement, savent faire avec l’imprévu, avec un contexte qui bouge. » Les petites structures ont donc une carte à jouer, dans ce contexte qui est le fruit d’une transformation progressive ces dernières années.

Un marché en reconfiguration

« Depuis les années 1990, il y a toujours eu des gens de l’extérieur qui débarquaient dans la profession, observe Pierre-Yves Legrand, directeur de Novabuild, centre de ressources de la construction durable en Pays de la Loire. Sauf qu’aujourd’hui, ils sont plus visibles et ils arrivent avec de nouveaux modèles, par exemple, économiques. »  » Le phénomène start-up est déjà assez ancien, note, de son côté, Antoine Thuillier. Dans les années 2000, il y a eu l’essor du secteur digital, d’Internet puis d’autres secteurs. L’année 2015 marque une accélération en la matière. »

Directeur du Plan Bâtiment Durable, fédérant des acteurs du secteur du bâtiment et oeuvrant à sa transition énergétique et environnementale, Jérôme Gatier estime, quant à lui, que le Grenelle de l’environnement et la RT2012 ont contribué à faire éclore de nouvelles entreprises.

Un marché, donc, en reconfiguration ces dernières années, dans lequel les entreprises traditionnelles du bâtiment s’inscrivent désormais. Voilà pourquoi elles auraient tout intérêt à se pencher dessus. « Il faut être en veille », conseille Pierre-Yves Legrand. Une habitude qu’a prise , par exemple, Gérard Meyer, p-dg de Carretero Meyer, une société de gros oeuvre, maçonnerie et rénovation d’une dizaine de personnes basée à Nantes.

« Je suis en veille sur l’innovation, témoigne ce patron qui a, l’année dernière, contribué à la construction d’une maison en impression 3D (voir encadré en page 2). La technologie ne transforme pas mon métier aujourd’hui mais l’accélère et le simplifie. Et cela ouvre des pistes de développement pour mon activité. »

Se recentrer sur son coeur de métier

Plus ou moins nouvelles dans le secteur, ces start-up s’invitent ainsi dans différents domaines. Leur particularité ? Elles couvrent toute la vie professionnelle de l’artisan du bâtiment : chantiers, gestion RH et administrative, etc. Autant de terrains sur lesquels elles souhaitent apporter de la valeur, comme un gain de temps, d’efficacité ou de performance commerciale.

« Les start-up amènent aux entrepreneurs la possibilité de se libérer d’un certain nombre de contraintes et de se concentrer sur leur valeur ajoutée », note Antoine Thuillier. Objectif : renforcer la satisfaction client. Par exemple, utiliser une application de suivi de chantier permettra de gagner du temps dans l’envoi d’un devis.

4 domaines concernés

Dans le détail, ces domaines sont au nombre de quatre – au moins. Sur les chantiers, elles couvrent tout ce qui touche au suivi des travaux. Sans oublier les dispositifs pour sécuriser les collaborateurs, allant des outils de prévention aux exosquelettes, robots ou bras articulés pour alléger la pénibilité au travail et aider au transport de charges lourdes (Gobio Robot).

Au niveau commercial, la principale nouveauté est l’émergence de plateformes visant à optimiser l’accès à des chantiers qualifiés (EP et sa plateforme Izigloo), la mise en relation avec des clients (123devis.com) ou la location de matériel (Prokonect). D’autres start-up permettent d’optimiser la prospection et la relation client, notamment, par exemple, via la réalité virtuelle (>>> Lire le témoignage de Christian Marquis, dirigeant de la PME Combles d’en France, qui mise sur la réalité virtuelle pour convaincre ses clients).

[Témoignage]  » Artisan, je suis entré au capital d’une entreprise innovante? »

Sonny Delarue dirige Rénov’Clean, une entreprise spécialisée dans les travaux de rénovation basée en Mayenne. Depuis fin 2017, il est associé, à hauteur de 10 %, au capital d’Ogône, une société qui développe un outil de réalité virtuelle pour les TPE du bâtiment.

Ce produit consiste en une application qui permet de visualiser dans l’espace la pièce à rénover afin de mieux s’y projeter, grâce à un dispositif adapté. « On s’est rencontrés [avec Alain Brochen, son fondateur, NDLR] à une soirée professionnelle. Quand il m’en a parlé, je me suis aussitôt dit : « C’est ça qu’il me faut ! » » se remémore l’artisan.

5 heures de gagné

Au-delà des fonds apportés à l’entreprise (3 500?euros), son implication dans le développement de l’outil, baptisé Anticip, se traduit par du conseil. « J’apporte le vocabulaire du bâtiment, ma connaissance des normes, par exemple sur les hauteurs de fenêtre. » Autrement dit, il aide à ce que l’outil bénéficie autant aux artisans qu’aux clients finaux.

« L’idée d’Ogône est de démocratiser la réalité virtuelle auprès des petites entreprises, d’apporter la pierre angulaire technologique à leur activité », précise Alain Brochen.

Alors que l’outil était en cours de finalisation mi-janvier 2018, Sonny Delarue a commencé à le tester. « C’est un super gain de temps. J’évite plusieurs déplacements. Je gagne cinq heures ! Le client, lui, se projette vraiment. » Une promesse symbolique de ce que les nouveaux acteurs ont à apporter aux artisans.

Repères

Raison sociale : entreprise individuelle
Activité : services de rénovation, peinture, isolation
Siège social : Montenay (Mayenne)
Année de création : 2015
Dirigeant : Sonny Delarue, 27 ans
Effectif : 1 personne
CA 2017 : < 100 k€

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