Jéremie Mosnier (Compagnons du Devoir) : « Un apprenti n’est pas une charge pour l’entreprise »
À la tête de deux entreprises de menuiserie, Jérémie Mosnier est le nouveau président des Compagnons du Devoir. Une mission qu'il souhaite porter au profit d'un développement et de nouvelles formes d'apprentissage.

Artisans Mag’ : Vous avez été élu à la présidence de l’association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France le 20 avril 2018. Quelles sont vos priorités ?

Jérémie Mosnier : Je souhaite m’inscrire dans la continuité de ce qu’ont fait mes prédécesseurs. Les Compagnons du Devoir ont depuis toujours pour objectif de permettre à chacun de s’accomplir dans et par son métier, dans un esprit d’ouverture et de partage. Aujourd’hui, nous souhaitons encourager le voyage d’un maximum de jeunes pour qu’ils découvrent leur métier et approfondissent leur savoir.

Vous souhaitez doubler le nombre d’apprentis en cinq ans ?

J’ai fixé comme objectif de doubler le nombre d’apprentis à 10 000. Il est important de répondre aux besoins des emplois de demain. On a une réelle pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. Pour bien occuper ces emplois, il faut passer par la base et par l’apprentissage d’un métier. On n’a pas seulement besoin de personnel sur les chantiers ou dans les ateliers, mais aussi d’encadrants qui sont passés par ce parcours.

Comment comptez-vous y parvenir ?

Nous devons davantage développer les partenariats avec les entreprises. On permet aujourd’hui à plus de 7 000 jeunes de voyager sur le Tour de France et près de 10 000 avec les stagiaires de la formation continue. C’est autant d’entreprises qui nous font confiance, parmi lesquelles certaines ont des difficultés à recruter. C’est aussi une opportunité d’inventer de nouvelles formes de recrutement avec des partenariats plus étroits. On peut imaginer recruter d’abord une entreprise avant de recruter un jeune. Si on n’a pas d’apprentis aujourd’hui, on n’aura pas d’ouvrier qualifié demain.

« Il faut endiguer ce drôle de paradoxe où on a des jeunes sans emplois et des emplois sans jeunes »

Vous avez présenté votre intention d’expérimenter de nouvelles formes d’apprentissage. Qu’est ce que cela recouvre ?

On mène depuis un an une expérimentation sur une nouvelle forme de formation initiale qui est un apprentissage par immersion dans l’entreprise (APPIE) pendant laquelle 85 % du temps est passé en entreprise. C’est quelque chose qui fonctionne très bien auprès des apprentis, des maîtres d’apprentissage et des encadrants.

Le numérique est également un levier ?

On développe les formations à distance à travers des Mooc et des Spoc aussi bien accessibles aux apprentis qu’aux maîtres d’apprentissage. D’ici cinq ans, on souhaite être reconnu comme l’un des centres de formation professionnels le plus en avance sur l’utilisation des outils numériques. Dans les entreprises, tous les Compagnons utilisent le numérique, souvent sans s’en rendre compte. Les jeunes y sont sensibles et c’est aussi un moyen de les séduire.

Cela passe aussi par une promotion des métiers de l’apprentissage ?

Nos métiers souffrent aujourd’hui d’une très mauvaise image. Il faut aller toucher les enfants plus jeunes, dès l’école primaire, présenter aux parents et aux instituteurs les métiers qui sont chez les Compagnons, mais aussi ailleurs. On ne connaît pas les métiers parce qu’on les cache. Il faut davantage montrer la manière dont ils s’exercent pour créer des vocations chez des jeunes.

La mobilité est un élément indispensable de la professionnalisation des apprentis ?

C’est l’ADN des Compagnons. Voyager, vivre en communauté tout en apprenant son métier oblige à une remise en question permanente. Cela apprend l’humilité et forge le caractère. En formation initiale, nos apprentis bénéficient d’une mobilité courte, essentiellement en Europe. Lors de leur perfectionnement, les apprentis réalisent une année à l’étranger pour se confronter à une autre culture, apprendre une autre langue. C’est primordial. Je souhaite que demain on puisse leur donner l’opportunité d’en vivre plusieurs.

Vous avez débuté par un CAP, puis poursuivi votre parcours avec un brevet de maîtrise. Vous êtes également ingénieur professionnel en génie civil du bâtiment. Que retenez-vous de ce parcours ?

Je dirige deux entreprises. La légitimité que j’ai aujourd’hui auprès de mes collaborateurs et clients, je la retire essentiellement du fait qu’il y a 25 ans j’ai appris un métier et acquis une culture ouvrière. Aujourd’hui, un Compagnon

sur deux devient entrepreneur après son Tour de France. C’est un moteur d’ascension sociale incroyable. La confiance que j’ai eue lors de mon apprentissage m’a permis de devenir la personne que je suis aujourd’hui.

« Avoir un peu de souplesse et de bon sens dans l’organisation du travail des apprentis est important. »

La réforme de l’apprentissage est-elle à la hauteur des enjeux ?

Pendant longtemps l’apprentissage a été décrié. Aujourd’hui, on a des discours intéressants qui permettent d’avancer. En sortie d’apprentissage, l’insertion dans l’emploi est bonne. Il n’y a pas de raisons que cela s’arrête. Libérer les tabous, faire connaître les métiers, voilà l’objectif. Il faut endiguer ce drôle de paradoxe où on a des jeunes sans emplois et des emplois sans jeunes.

Les mesures d’aides à l’embauche et de simplification pour les entreprises sont-elles suffisantes ?

Ça va dans le bon sens, mais il faudra être attentif à la mise en application. Un mineur qui ne peut pas apprendre parce qu’il est trop jeune pour travailler dans certaines conditions est inconcevable. Qu’on protège les jeunes salariés, c’est normal. Mais avoir un peu de souplesse et de bon sens dans l’organisation du travail des apprentis est important. En ce qui concerne les aides et la simplification des dispositifs, c’est incitatif. Un apprenti n’est pas une charge pour l’entreprise.

Dates clés :

– 1993 : Entre en CAP menuiserie agencement à 14 ans.

– 2009 : Reprend une entreprise albigeoise de 14 salariés.

– 2013 : Fonde une deuxième entreprise de 3 salariés.

– 2015 : Certification ingénieur professionnel en génie civil du bâtiment.

– 2018 : Élu président de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France.

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